Textes, mythes et légendes de l'Ar'Lumn




u me fais sourire, Etranger, à demander si naïvement à en apprendre plus sur moi. Sans doute veux-tu savoir que je suis fille du seigneur Kaldar, qu'on m'appelle la Guerrière Sans Chemin. Peut-être souhaites-tu entendre parler des splendeurs des saisons, des pluies d'or, des ruisseaux cristallins et des forêts de fleurs de mon pays, l'Ar'Lumn, les Terres Jaunes, que nul étranger sinon Erwin-le-Prêtre et ses frères n'ont pénétrées comme moi, et qui sont foulées par davantage de Fées et de Fils-du-Dragon que d'humains. Ou bien encore souhaites-tu que je conte la meurtière passion de mon père, Kaldar pour la très belle Jehan-aux-Doigts-Dorés, qui filait et tissait le fil d'Or comme nul autre ici bas. Ou veux-tu les récits des gloires de mon frère Bralën-Dur aux guerres des Citadelles Rouges, contre les fils du Dragon Noir, ou les épopées d'Erwin, les combats de son frère Soïzic-le-Borgne, et l'entrée de son frère Gwenan-le-Vert au palais de mon père, et son union avec la Fée Olynë ?
Mais non, je tairai tout cela, bien que ces êtres et ces récits soient en moi comme coeur et poumon dans ma poitrine. Alors, Etranger, peut-être préfères-tu savoir qui je suis, ce que j'ai vécu, ce que j'ai fait ? Il te faut savoir, alors, que je suis prompte au rire tout comme à la rage, et que nul ne m'a jamais prise en sommeil : être femme n'a jamais étouffé en moi les élans guerriers, et aux occupations qui leur sied je préfère cent-mille fois la fade odeur de la mort et du sang des ennemis sur le sol des champs de bataille. J'avais douze ans à mon premier combat, Etranger, sache-le, et nul n'a pu retenir mon bras ce jour là, car Dhara veille sur moi, Déesse des Tempêtes, Vertu du Courage, Maîtresse de l'Eclair...
Je me sens encore le coeur vibrant à l'écho des tambours d'Algani lorsque je fais ressurgir les souvenirs des Ga'Neghran, les Plaines du Faucon, où la fortune me fit naître. L'heureuse évocation de mes années d'enfance, bien que ternie par les drames de la guerre des Valéï, n'est est pas moins pour autant chère à mon �me même. J'avais pour famille ceux que je choisissais. Il m'est arrivé bien des fois d'appeler Père les petits artisans ou ouvriers des cités : je ne me sentais pas plus respectueuse envers eux, ni moins aimée que par les miens.
Mon père m'inquiétait par ses périodes de douces langueurs, de mélancolies où il négligeait tout, se réfugiant dans les bras de ses quatres femmes. Bien que l'on m'ait maintes fois rappelé que je les devais appeler 'Mère', jamais je n'avais ne serait-ce que fait mine de satisfaire à cette coutume. Toute enfant, j'étais persuadée qu'aucune d'elles n'était ma mère, et pour moi elles étaient cause des comportements étranges de mon père. Je n'accordais mon crédit qu'à l'une d'elles, Nel'zoni, la plus ancienne de tous, plus âgée que mon père même, et qui, seule, avait su m'apprendre sans me contraindre les délicats secrets des artifices féminins.
Mon père... un être instable et tourmenté, mais que le Mage de Senhovar, Dal'Nedh, lui même avait désigné. Il fallait un roi aux Terres Jaunes, il avait été choisi, lui, étranger au pays, arrivé tout jeune, ignorant de la langue même...

Tel fut trouvé le récit des épopées d'Aldaran,
rapporté par Enlis'Sar depuis les Monts Kalÿna
jusqu'au pays d'Ar'Mirë'Ys,
au quatorzième cycle de l'Ere Solaire.