Le culte de Korin et Ghor





l faut noter que la religion de l'Edanel est (...) bien différente des autres cultes, dans la mesure où elle s'inscrit dans un schéma totalement irréductible au schéma traditionnel - qui intègre le culte dans un ensemble global regroupant tout Oneira, avec des régions protégées par des Gardiens, et avec une mythologie commune (Délomaque notamment), ces cultes traditionnels et génériques étant rendus à des sortes de principes transcendants. En effet, le culte rendu en Edanel s'adresse à une figure bien différente : il s'agit d'une déesse nommée Korin qui serait prétendument le démiurge du monde (qui n'est d'ailleurs pas nommé Oneira), qui s'inscrit par conséquent dans une opposition totale aux autres cultes.
Le culte de l'Edanel prend son point de départ lors d'une révélation (contestée hors de l'Edanel), aux alentours de l'année 300, et prend rapidement une ampleur considérable (moins de dix ans). Il exalte la femme, qui se reconnaît en Korin, divinité femelle dominatrice - notons d'ailleurs que Korin est à la fois la créatrice (représentation traditionnelle de la femme dans les régions du monde), dominatrice (alors que le pouvoir est symboliquement masculin dans la plupart des pays), mais aussi destructrice, comme le montrent les nombreuses prophéties postérieures (nous y reviendrons). Ce culte a aussi un côté masculin, incarné dans le "frère" (il est difficile de comprendre la notion de frère d'une déesse démiurgique, mais nous ne connaissons pas un certain nombre de textes sacrés conservés dans le Temple de Korin) de Korin, Ghor, qui est selon les textes sacrés enchaîné par sa soeur (là encore, s'agit-il d'un symbole ?) qui peut disposer à loisir de sa puissance, qui est essentiellement destructrice et violente. A Korin est associé un pouvoir de régulation et d'ordre, elle qui force son frère à ne pas détruire, alors que Ghor représente plutôt une sorte de chaos (un symboliste a d'ailleurs proposé dernièrement un schème d'interprétation basé autour de la dualité ordre/chaos très intéressant).
Il est intéressant de noter que le culte influence toute la vie sociale de l'Edanel, en ce sens que tout ce symbolisme se retrouve dans les structures de l'élite de la société (noblesse et membres du culte), le culte étant uniquement féminin, tandis que la chevalerie est masculine, le lien entre le culte et la noblesse étant un lien nommé "amour courtois" qui semble correspondre à un asservissement moral du seigneur à une prêtresse assorti d'une passion physique sublimée dans la servitude proprement dite. Au sommet de la pyramide sociale se trouve la Reine, qui est représentée comme la descendante de Manan, la première �lue par Korin et fondatrice du culte, descendante spirituelle bien entendu, puisque les lignées de Reines se sont déjà renouvelées six fois. L'imaginaire collectif attribue à la Reine le pouvoir de réveiller en chaque mâle la part de Ghor à volonté, mais cela tient sans doute du mythe.
La structure hiérarchique du culte est très intéressante et se couple avec la hiérarchie sociale - de l'élite seulement, précisons-le à nouveau. La prêtresse est en perpétuel apprentissage, et accède au fur et à mesure à des savoirs plus obscurs et inconnus ; en même temps, elle a le droit de pénétrer plus avant dans le Temple (il y a une symbolique évidente de la pénétration autorisée du tabou). La prêtresse a été liée lors de son noviciat à un jeune chevalier, le lien étant en fait unilatéral (le garçon est dominé par sa maîtresse et lui voue une adoration passionnée et triste, car elle lui semble inaccessible, et elle, en retour, lui rend un amour toujours distancié par la connaissance qu'elle a de la nature de son amant, mi-ordre (imposé par le lien), mi-chaos (la part de Ghor), car elle sait qu'elle ne peut pas rendre sa liberté à celui qu'elle aime, sous peine de le voir succomber à Ghor. Au fur et à mesure que la prêtresse devient plus puissante, son amant croît en puissance (cela n'est pas strictement proportionnel, le chevalier peut ralentir ou accélérer sa progression hiérarchique propre par ses mérites, notamment au combat).
On distingue les novices, les prêtresses, les préceptrices, les érudites, les Hautes Prêtresses, les Aristae et la Reine ; il faut peut-être ajouter à cela les Volontaires de Korin, mais nous ne savons pas bien de quoi il s'agit. Les Enfants de Korin sont toutes les prêtresses - les novices n'en sont pas encore. Les novices sont éduquées dans des petits Temples situés la plupart du temps dans des collines reculées, sous la garde de préceptrices et de prêtresses. On leur apprend les rudiments et les lignes de force du culte, et on prépare leur personnalité à se vouer à Korin seule. Seules les filles de la noblesse peuvent devenir novices, et les filles de la noblesse sont la plupart du temps aussi filles de prêtresses. Le rite de passage au statut de prêtresse est relativement long ; il s'agit pour la novice, dans sa seizième ou dix-septième année, de suivre une érudite dans un château seigneurial correspondant à son rang approximatif de naissance et d'attacher à sa personne un jeune noble - il ne s'agit pas encore du lien. Cette épreuve de séduction est compliquée par l'érudite, qui a tout pouvoir sur la novice et la soumet à des épreuves physiques, morales et psychologiques intenses. On estime qu'un tiers des novices échouent lors de ce rite de passage - elles deviennent alors servantes du culte, ou retournent stériles dans leur famille.
La novice, après ce rite, accède au rang de prêtresse ; pendant quelques années - il semble que le temps varie selon les personnes - la jeune fille est éduquée dans le Temple de Korin situé à Korandic : elle apprend à officier, elle mémorise les textes sacrés, elle se familiarise avec les gestes du culte. Ce sont les érudites qui lui dispensent son enseignement. Enfin elle reçoit une charge de prêtresse : la hiérarchie lui donne un poste, généralement dans un Temple de province. Pour devenir préceptrice, une prêtresse doit lier à elle l'homme qu'elle avait déjà attaché. Cela peut se produire très tôt - il semble que certaines ne restent prêtresses que quelques mois - ou au contraire très tard. On estime qu'une fraction notable de prêtresses accèdent au préceptorat (environ 25 %, dont les trois-quarts en fin de vie).
La préceptrice a des devoirs précis. Elle est attachée à un Temple particulier, et n'en sort presque jamais. Son rôle est de former les novices afin de les amener à la prêtrise. Il est extrêmement rare qu'une préceptrice devienne érudite, et l'accession vient la plupart du temps très tardivement. Elle ne réclame pas d'épreuve particulière : c'est la hiérarchie qui détermine quelle préceptrice est digne de devenir une érudite, en fonction de son intelligence, de son aptitude à former les novices, de son zèle, de sa foi et de la façon dont elle mène sa vie. Les préceptrices voient assez rarement leur mâle lié, et celui-ci ne leur sert guère que de reproducteur ; il est rare qu'un véritable amour s'installe en elle. Notons que les prêtresses missionnaires que l'on rencontre parfois dans des villages d'Oneira sont la plupart du temps des préceptrices - très rarement des érudites, jamais de simples prêtresses, qui n'ont pas le droit de sortir de l'Edanel.
Les trois degrés supérieurs de la hiérarchie nous sont mal connus - jamais espion n'est parvenu à infiltrer ces degrés. Il semblerait que les érudites aient accès à tous les textes sacrés, même les prophéties les plus sombres. Il semblerait aussi qu'une érudite supervise le travail d'un certain nombre de petits Temples. Les érudites sont souvent très vieilles, et on les rencontre rarement hors de leurs murs. Les Hautes Prêtresses sont plus mystérieuses encore. Nous pensons qu'elles ont la capacité d'établir un lien particulier avec leur mâle, un lien amoureux sublimé en passion, avec un tabou lourd sur les choses physiques. Du moins pour les plus jeunes : étrangement, les légendes ne mentionnent que de jeunes Hautes Prêtresses. Nous n'avons pas encore compris si ce sont des érudites qui deviennent Hautes Prêtresses ou si elles sont choisies à part. Les chevaliers dont les hauts faits sont contés étaient généralement attachés à de telles prêtresses.
Enfin, la Reine symbolise le pouvoir temporel et spirituel. Elle est au coeur du dispositif cultuel, la tradition voulant qu'elle soit la descendante spirituelle de Manan. C'est elle qui officie lors des grands cérémonies (départ des armées pour la guerre, Fête de la Révélation), office qui se déroule en plein air au centre d'une grande foule la plupart du temps, mais qui, semble-t-il, peut fort bien se dérouler à l'intérieur du Temple de Korin, à l'écart de toute foule. La Reine est généralement la fille aînée de la Reine précédente - normalement, la seule fille, puisque les Reines ont rarement plus d'un enfant. Si une Reine n'a pas d'enfants, le Conseil des Hautes Prêtresses se réunit et choisit la future Reine (qui peut être issue de n'importe quelle famille : lors d'un changement de dynastie vers 670, c'est une novice d'une petite famille noble de province qui a été choisie, sans qu'on sache pourquoi ; elle a fondé une dynastie glorieuse). Il y a eu à ce jour sept dynasties (dynastie de Manan ; de Galathée ; de Frida ; de Sadic ; de Méliandre ; de Cléo ; de Cirssé, actuelle dynastie).
Pour conclure sur un culte qui nous reste mal connu, je veux juste rappeler ces légendes qui courent, essentiellement en Edanel et dans les pays limitrophes, sur un organisme mal identifié, la Volonté de Korin. D'aucuns estiment qu'il s'agit d'une branche du culte à caractère répressif, traquant toute déviance et traquant tous ceux dont la foi pourrait sembler hésitante. Les légendes font toutes état de tortures innommables, de mises à mort et de pratiques inhumaines. S'agit-il simplement de légendes, ou s'agit-il d'un aspect sombre supplémentaire d'un culte qui l'est déjà beaucoup ?

Extrait d'un article paru dans l'�cho de Laiirna en 1038, écrit sous le pseudonyme de Oppem.