La sorcellerie sur les terres d'Oneira




Atelier de sorcellerie, par Erana.

'aime me souvenir du temps de mon enfance, et retrouver dans mon esprit les villages, les collines, les atmosphères qui ont fait de moi ce que je suis aujourd'hui. J'en ai vu, des pleines et des nouvelles lunes, des éclipses, des tempêtes, des naissances et des morts. J'ai enterré tous les miens au fil des ans, et je veille aujourd'hui sur mes arrière-petits-enfants et leur progéniture. Je les vois grandir et apprendre dans ces même paysages qui m'ont vu évoluer enfant, et j'aime à me dire qu'Oneira, finalement, n'a pas changé. Ma famille a la chance de vivre dans une des contrées les plus belles, les plus riches, les plus gaies de notre continent. Ev'Syra sera toujours pour moi le berceau de la vie d'Oneira. J'en ai parcouru les collines tant et tant de fois que j'y connais la place exacte de chaque pierre, de chaque terrier, de chaque source. Et à présent, quand je chemine lentement sur les chemins, toute famille a un bon mot pour moi, car je suis à leurs yeux aussi vieux et aussi familier que le grand arbre des fées qui irradie notre pays de sa vie et de sa joie.
J'ai vécu plus longtemps que bien, bien des miens, mais rien, ni mon âge, ni ma fatigue, ne me donne l'envie d'être accueilli par Addina. Aimer les miens, contempler la belle Oneira, relire et relire encore les pages usées de mon vieux grimoire, voici à présent tout ce que je souhaite, moi, le vieux, le plus vieux des sorciers.
Il ne passe pas un jour sans qu'on frappe au chambranle de ma vieille porte pour pour demander conseils, oracles, enseignements, assistance, et je prends plaisir à transmettre à tous ces gens, jeunes ou moins jeunes, paysans, marchands, bardes, soldats, ou sorciers comme moi ce que la vie a amassé dans mon grimoire et dans ma tête. Je leur dit comment trouver la salamandre, comment cueillir les plantes sans en perdre la magie, comment lire dans les étoiles, comment voir les fées. Tous ne me comprennent pas, mais tous repartent contents, voilà ma tâche aujourd'hui. J'ai abandonné un à un les préceptes du code de la lune. Je n'ai plus besoin de potions ni de sortilèges, et le vol des corbeaux ne peut que me répéter que je suis vieux et fatigué, et qu'Addina m'attendra bientôt. Je ne me plains pas, j'ai bien vécu. Mon maître était un sorcier sage et plein d'humour, il a su m'enseigner la beauté de notre art et les charges qui nous incombent. J'ai rencontré Illénira, j'ai vu la cité de Brume, j'ai navigué jusqu'à Istia et j'ai préparé de savantes potions pour guérir les hommes et les choses. Mais je n'ai jamais rien tant aimé que rester dans mon jardin, soigner mes plantes et mes chats, voir grandir mes enfants et les voir s'éveiller à la magie d'Oneira. Je sais que lorsqu'Addina m'appellera, je partirai loin d'Ev'Syra. Je sais que mon destin est achevé. Je sais que j'ai rempli ma vie. Je sais que chaque chose autour de moi est ce qu'elle doit être. Je ne veux rien changer. Je souhaite seulement contempler, depuis le monde de Délomaque, ma famille s'épanouir, mon pays rester beau, et les sorciers demeurer tels qu'ils sont.
Répartissez mes biens dans la famille, sans heurts et sans disputes, ne vendez rien. Prenez soin de ma maison, laissez vivre mes chats et mon vieux cheval là où ils ont toujours vécu, prenez soin des plantes de mon jardin, et partagez-vous tous l'usage de mon grimoire. Venez de temps en temps visiter la vieille maison de bois et de pierre où vous avez fêté depuis toujours les fêtes de Coeur-Hiver et les solstices. Je sais que vous, Curn, Loïne, Sylna, Ysir, Ultreon, Nedin, Aynela, Suren, Kibbin, Zaon, et ma petite Ysleda, mes chers arrière-petits-enfants, saurez faire ainsi et transmettre mon souhait jusqu'à ce que Kaly fasse son oeuvre, émousse mon souvenir, efface ma maison, et rende à mes plantes leur liberté hors du jardin délimité par mes soins de jeune sorcier.
Ceci me tiendra lieu de testament, le jour où Délomaque voudra que je lui revienne.
Je vous aimerai tous les jours, et vous veillerai toutes les nuits.

Am-Sandorlen.
Pour Monsieur André B. que j'aime de tout mon coeur
et qui pense comme les vieux sorciers d'Oneira...